Les classes prépa en Tunisie: un système à revoir?

Shaima Sebri
Génération Transition
6 min readNov 28, 2018

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À l’heure de choisir son orientation dans le supérieur, on se demande parfois : Liberté ou rigueur? Sérieux entouré ou sérieux isolé ? La fac ou la prépa?

Cette dernière est une filière généraliste qui fait l’objet de critiques régulières remettant en cause sa pertinence et la place qu’elle occupe dans le paysage de l’enseignement supérieur tunisien.

Mieux vaut viser juste.

“Mieux vaut viser juste”… Voici les mots qu’on entend en fait lorsqu’on interroge sur le classes préparatoires.

Intégrer une prépa après le bac paraît donc moins attractif par rapport à d’autres cursus pour certains lycéens. Mais, pourquoi un tel désintérêt?

Un rythme infernal: le régime sinusoïdal forcé.

La quantité inhumaine de travail demandée aux élèves durant une période longue de deux ans assortie d’une réelle pression est sans hésiter la première critique que l’on peut faire à un tel système.

Submergé par la forte charge de travail et cloisonné par la discipline, il n’y a pas moyen de reprendre son souffle ; il faut compter en moyenne 32 heures par semaine dans lesquelles on donne tout dans une seule direction, rien que pour satisfaire les contraintes de temps.
Bref, nous en sommes encore trop à penser en matière d’un programme à terminer pour le concours.

Mais au fond, si l’on met de côté cette dimension « préparation aux concours », que retire-t-on vraiment d’un, deux, voire trois ans passés en prépa ? Allons plus loin. Est-ce qu’elle aurait toujours pour objectif de préparer pour ce dernier? Ne peut-elle pas évoluer vers une sorte de vraie formation progressive?

Un outil de sélection, pas de formation.

Généralement les yeux se tournent volontiers vers le « produit fini » plutôt que sur le processus de formation par lequel il est passé. En effet, pendant deux ans de prépas, on ne contrôle plus les performances d’une manière progressive. Au contraire, on focalise tout sur le concours. Il y a même certaines choses qu’on voit uniquement pour ce dernier... C’est en fait beaucoup d’apprentissage mais par moments ça s’apparente plus à du bachotage (but d’une réussite, sans souci d’une véritable formation) plutôt qu’un raisonnement par compétence acquise.

Pour ce faire, nous pourrions par exemple proposer des concours sur dossiers. Après tout, c’est avec cette manière qu’on arrive à bien mesurer la capacité des candidats et contrôler leurs performances tout en insistant surtout sur la formation et pas seulement les notes et les classements.

De plus, le faible poids accordé aux langues dans le concours a fait que les élèves s’y intéressent de moins en moins. Quand on sait par ailleurs qu’il n’y pas de colles orales pendant deux ans de prépa, ni d’épreuves orales aux concours, on comprend mieux l’origine du déficit culturel et linguistique chez les élèves ingénieurs à l’admission dans les écoles d’ingénieurs… Vous imaginez alors un peu la difficulté de l’exercice consistant à inculquer en trois ans à des élèves ingénieurs, qui n’ont jamais connu une situation similaire auparavant, toutes les compétences transversales — les « soft skills »- nécessaires à l’exercice de leur métier. Pas étonnant que très peu y parviennent !

Passons à un autre point qui porte sur l’analyse des performances et là encore on met le doigt sur un autre dysfonctionnement de notre système de concours. En fait, en dehors d’un fichier faisant état du rang des candidats et de leur statut (admis ou pas), aucune information n’est disponible sur l’analyse de leurs performances. On utilise donc trop rarement l’évaluation pour faire progresser.

En d’autres termes, c’est un système qui fonctionne en somme sans mémoire et qui reproduit d’une année à l’autre les mêmes tares. Il parait alors indispensable de rappeler qu’aussi bien la qualité des épreuves que les performances des candidats doivent être analysées. De sorte qu’au-delà de leur fonction sélective, les concours servent surtout d’outils efficaces pour l’amélioration des performances globales du système, professeurs et futurs candidats.

Esprit concours: touche pas à ma note.

En toute logique, qui dit concours dit sélection. Il faut alors être prêt à vivre avec une nouvelle pression, celle de devoir être meilleur que les autres.
Cette recherche d’excellence a participé à la rupture des relations d’amitié entre les élèves et a certainement conditionné la communication entre eux.

Par contre, c’est à noter que la bonne maîtrise du travail collaboratif est l’une des premières qualités qu’attendent les entreprises des jeunes qu’elles recrutent… Et avec la manière dont sont organisées les classes préparatoires, cet objectif n’est pas totalement atteint.

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Des étudiants mal préparés au écoles d’ingénieurs

« Tu verras, tu ne fais plus rien en école d’ingénieur » Des mots qui feront saliver n’importe quel élève de prépas.

le monde de la prépa et celui des écoles d’ingénieur sont, en Tunisie, bien plus souvent face à face que côte à côte.
En effet, Les IPEI (Institut préparatoire aux études d’ingénieur) ont évolué chez nous en électrons libres, de façon déconnectée en particulier des écoles d’ingénieurs qui sont censées en impulser les orientations et les programmes.

Les notions fondamentales qu’on apprend sont en fait, abordées en dehors de leurs applications et de leur contexte pratique… une telle pédagogie dominée par les contenus théoriques où peu de place est faite aux travaux pratiques, a livré une formation généraliste peu orientée vers les besoins spécifiques des secteurs qu’elle est censée satisfaire.

Ces IPEI se doivent donc d’être pensées en relation avec les Grandes Écoles auxquelles elles préparent : elles orientent un contenu et préparent à un emploi.

Les pistes de la réforme:

Nous avons encore de véritables efforts à produire, à savoir:

— S’éloigner des cours académiques et privilégier la communication des étudiants.
__ Aider nos élèves qui ont envie d’entendre des histoires d’entrepreneuriat, d’échecs, de réussite à prendre conscience des attentes des écoles d’ingénieurs et du monde professionnel.
__ Mettre en place une vision commune tout en mettant l’accent sur le lien entre les classes préparatoires et les écoles d’ingénieurs afin de ne plus penser le cursus en deux étapes mais en un seul chemin de 5 années (faire engager toute la filière).
Cela se traduit par de nombreuses actions, dont en particulier la mise en place des stages pratiques en entreprise pour les élèves. Ce qui pourrait donc donner une dimension concrète de terrain à un cursus en prépa.

Conclusion

Finalement, nous ne trouvons pas de solution miracle pouvant élever par magie le système tunisien des prépas à un nouveau niveau de performance . En d’autres termes, le remède ne se trouvera pas dans un ailleurs idéal, un passé embelli ou un futur utopique. Il s’élabore ici, maintenant et en fonction de nos contextes.
Le fait de nous mettre d’accord sur cette vision va donc permettre de faciliter la réforme et de recréer une structure plus efficace.

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